Une nouvelle forme de cohabitation
ou les excentricités d’une Ve République que le monde entier nous envie

Lors des dernières semaines de la campagne électorale, les néo-gaullistes ont mené une campagne surréaliste, sur le thème de la cohabitation : « attention, si vous élisez une majorité de gauche, nous vivrons une nouvelle cohabitation. Dans cette situation, le gouvernement de la France est inefficace, le pays ne pourra pas peser sur la scène internationale ni entreprendre de grandes réformes ». C’est un bel exemple de la malhonnêteté intellectuelle dont est capable la droite de notre pays. À qui doit-on ces institutions qui font de la France le seul pays d’Europe où l’on se pose ces questions pratiquement à chaque élection ? À ceux qui ont rédigé la constitution de 1958, et peut-être plus encore à l’interprétation très présidentielle (monarchique, dit-on même souvent) avec laquelle ils l‘ont mise en place. Et prenant prétexte des graves défauts de la IVe République, on essaye de nous fait croire que la Ve République est un modèle d’efficacité, ce qui est un comble… les institutions françaises sont les moins démocratiques (personnalisation et sacralisation des décisions du chef de l’État hors « cohabitation », rôle diminué des partis politiques) et les moins efficaces d’Europe (hors Italie peut-être).

Si, comme tous ses voisins, la France vivait sous un vrai régime parlementaire, un gouvernement de « cohabitation » ne vivrait pas sous la menace d’une dissolution non souhaitée, sauf à perdre la confiance du Parlement. La définition des politiques étrangère et de défense ne devrait pas être l’objet  d’une unité de façade entre le président et le gouvernement. Une telle confusion asphyxie un débat démocratique majorité/opposition sur ces sujets, et ces dernières semaines ont montré l’importance centrale de certaines décisions de politique étrangère.

Avant de procéder à une réforme constitutionnelle, certes souhaitable mais qui ne se profile pas dans un horizon immédiat, il est possible de promouvoir une lecture plus parlementaire de notre constitution, qui fait du gouvernement le centre des décisions politiques. Par exemple, « le président de la République est le chef des armées » (article 15), ce que l’on nous rappelle souvent, mais ce titre est aussi donné aux monarques constitutionnels des pays qui nous entourent. Mais on se souvient moins que « le Premier ministre (…) est responsable de la défense nationale » (article 21). Les règles de participation aux sommets internationaux et la décision de déclencher la bombe nucléaire ne sont pas non plus fixées dans la constitution. Ces exemples montrent que le fonctionnement de la Ve République telle que nous la connaissons, provient plus des usages que des textes eux-mêmes. Donc il est possible de se diriger progressivement vers un système parlementaire avant même de toucher aux textes.

La période qui s’ouvre peut servir à cela. Il faudra donc réaffirmer que l’ensemble des choix politiques de l’État doit procéder du gouvernement, émanation de la majorité parlementaire, donc de la nation. De plus, il faudra éviter une séparation totale entre le gouvernement et les partis de la majorité, c’est-à-dire en premier lieu du Parti socialiste. Les expériences passées nous enseignent que si une telle coupure se produit, le gouvernement prend ses décisions isolément, et que la parole du parti et des groupes parlementaires est ignorée. On perd alors en démocratie et finalement en efficacité ; un gouvernement ne peut agir longtemps sans écouter la société et ses corps intermédiaires.

C’est pour cela que, par exemple, les ministres continuent à participer aux débats du bureau national du Parti socialiste. Il serait souhaitable, également, qu’après le congrès de fin 1997, Lionel Jospin continue à exercer les fonctions de premier secrétaire, (assisté par un premier secrétaire délégué bien entendu). Cela nous rapprocherait d’un système parlementaire : celui qui est responsable devant les militants des positions du parti, serait aussi celui qui effectue les choix politiques du gouvernement, ce qui garantirait une meilleure cohérence et serait plus démocratique. Certes, cela présente quelques inconvénients, notamment l’affichage d’un cumul de fonctions (bien que ce système soit naturel chez tous nos voisins, souvent bien plus avancés que nous sur la limitation des cumuls de mandats électoraux)…

Le débat institutionnel n'est pas celui qui intéresse en premier lieu nos concitoyens, et cela est sans doute légitime. Mais il ne faut pas pour autant négliger l'importance de ces questions. Si l'on veut faire réduire le malaise politique que vit notre pays, on doit assurer un fonctionnement plus équilibré de notre démocratie.

 

Gilles Vollant